Avant-hier, j’ai fait une randonnée avec mon amie Cora. Elle vient d’un pays où les montagnes n’existent quasiment pas. Toujours au niveau de la mer, à 0 mètre d’altitude. Elle était venue me rendre visite pour quelques jours, et l’idée d’aller flirter avec une nuit en refuge était trop belle pour être ignorée. Une vraie aventure.
Les deux premiers jours, on a patienté. Neige, pluie, brouillard… un cocktail de 48h d’humidité parfaite pour casser l’enthousiasme. Puis soudain, changement radical : ciel bleu, soleil éclatant, appel irrésistible. Le moment idéal pour entamer l’ascension.
Sauf que. Cora n’avait jamais utilisé de raquettes à neige. Et elle sortait d’un hiver plutôt relax. Bref, niveau préparation physique : 3/10. Pourtant, nous sommes parties. Avec une règle simple : à tout moment, si la montée devenait trop rude, on ferait demi-tour.
Je me suis bien gardée de lui montrer le tracé depuis le parking. Non pas par malveillance, mais parce que je savais qu’elle verrait un mur, pas un sentier. Parfois, les obstacles semblent immenses, écrasants. On croit qu’ils nous dépassent avant même de les aborder. Et pourtant…

On est parties à son rythme. Pas à pas. Elle avançait, glissait, tombait, se relevait, soufflait. Elle maudissait ses jambes sans condition, m’a probablement maudite un peu au passage aussi 😅, mais elle n’a rien lâché. Elle voulait voir ce chalet dont je lui avais parlé. Elle voulait aller au bout. Et tu sais quoi ? Elle l’a fait.
On est arrivées en haut. On a posé nos sacs, préparé le feu, déroulé les matelas. Et surtout, on a dîné face à un coucher de soleil d’une beauté à couper le souffle. Bonus inattendu. Même moi, je ne l’avais pas vu venir. Cora s’est assise là, en silence, les joues rougies par l’effort et le froid, les yeux brillants. Elle rayonnait.
Ce que je veux te dire, c’est que la vie, c’est exactement ça.

Les chemins que tu ne choisis pas toujours
Dans cette histoire, j’ai proposé le challenge à Cora. Mais dans la vraie vie, les défis nous tombent souvent dessus sans prévenir. Ce n’est pas un(e) ami(e) bienveillant(e) qui t’invite à gravir une montagne. C’est un accident, une rupture, un licenciement, une révélation soudaine, une remise en question douloureuse, un manque de sens plombant. Tu n’as rien planifié. Tu te retrouves juste au pied d’un sentier raide, sans équipement, sans plan, et avec le cœur qui bat trop fort.
Mais ce que cette randonnée m’a rappelé avec force, c’est que même quand tu ne sais pas comment, même quand tu n’as pas l’expérience, même quand tu doutes à chaque pas… tu peux avancer. Et tu peux arriver en haut.
L’obstacle ne se présente jamais par hasard. Il est là parce que tu peux le traverser. Même si tu n’en as pas encore conscience. Cora ne savait pas ce dont elle était capable. Et pourtant, chaque pas qu’elle a fait dans la neige a réveillé en elle des ressources qu’elle n’avait peut-être jamais utilisées.
La souffrance, l’inconfort, les cuisses en feu, les pensées de renoncement : tout cela faisait partie du voyage. Ce n’était pas une erreur. C’était le processus.
Les ressources invisibles
Cora n’est pas différente de moi, ni de toi. Elle n’a pas un mental d’acier caché dans une poche secrète. Ce qu’elle a fait, tout le monde peut le faire. À condition de dire oui à l’obstacle. Oui à l’inconnu. Oui à la possibilité d’échouer (qui ne restera au fond qu’un apprentissage !)
Et surtout : oui à la possibilité de découvrir des parts de soi que l’on ignore.
Elle aurait pu refuser. Elle aurait pu me dire non. Et elle aurait gardé une image mentale de la montagne : belle, inaccessible. Elle n’aurait jamais su. Mais en acceptant d’essayer, elle a vécu quelque chose qu’elle n’est pas prête d’oublier. Une expérience unique, née de l’effort, de la confrontation, de la vulnérabilité.
Et ça, c’est le cœur de ce que j’ai envie de te transmettre ici : tu ne sauras jamais ce dont tu es capable tant que tu ne mets pas un pied dans la neige. Tant que tu ne dis pas : “Je vais essayer.”
L’illusion du confort
Le confort nous ment. Il nous promet la sécurité, la tranquillité, l’évitement. Il nous chuchote que rester où l’on est, c’est la meilleure option. Et parfois, on l’écoute. On aménage joliment notre zone grise. On construit des routines, on ajoute des coussins, on meuble l’inconfort avec des distractions, on remplace les rideaux de notre prison dorée. Mais au fond… on étouffe.
Il y a un moment où tu sais que tu vis à côté de toi-même. Et c’est insupportable.
Sortir de là, c’est accepter la montée. C’est dire oui au froid, à la peur, à l’inconnu. C’est comprendre que l’obstacle est un révélateur, pas un empêcheur. Et même si tu ne vois pas encore le sommet, même si tu ne crois pas en toi, tu peux commencer. Tu peux faire le premier pas.
Et si ça peut te rassurer : l’obstacle ne serait pas là si tu n’étais pas prêt·e. Peut-être pas en surface, mais en profondeur. Ce que tu vis aujourd’hui est à ta hauteur. Ce n’est pas une punition. C’est une révélation qui s’annonce.

Le vrai sommet
Ce soir-là, au refuge, alors que le soleil plongeait derrière les crêtes, je me suis dit : « Voilà. C’est exactement ça. Le sommet, ce n’est pas le point GPS. Ce n’est pas la vue. Ce n’est même pas la réussite.
Le vrai sommet, c’est ce moment précis où tu regardes ce que tu viens de traverser… et que tu réalises que tu t’es trouvé·e en chemin. Que tu as laissé tomber un masque. Que tu as dépassé une peur. Que tu as honoré une vérité. »
Tu n’as peut-être pas fait tout parfaitement, et alors ? Tu t’es peut-être plaint·e, ralenti·e, effondré·e par moments. Mais tu ne t’es pas arrêté·e. Et ça, c’est le vrai triomphe.
Ne pas fuir l’appel
Dans ta vie, tu as ou tu auras des « Cora moments » . Des appels à monter. Des moments où quelque chose ou quelqu’un va t’inviter à sortir du connu. Parfois, ce sera déguisé en crise. Parfois, en opportunité. Mais ce sera toujours un test. Une invitation à être plus vrai, plus aligné, plus vivante.
Et si tu refuses ? Tu vivras une vie parallèle. Une vie tiède. Et le goût amer viendra, tôt ou tard. Celui de ne pas avoir essayé. Celui de s’être trahie pour rester tranquille. Mais aussi, celui d’avoir trahi les autres. Car en restant dans une existence confortable mais fausse, tu retires à l’autre la possibilité d’être pleinement lui/elle-même. Tu t’accroches à un mensonge, et tu empêches deux vérités de s’épanouir.
Mais rappelle-toi : ce que tu ne traverses pas maintenant, la vie te le reproposera. Sous une autre forme. Dans une autre relation. Peut-être même dans une autre vie. Rien ne disparaît. Tu as l’éternité pour apprendre… mais pourquoi attendre ?
Et toi ?
Tu es peut-être au pied d’une montagne aujourd’hui, et te demandes si tu en es capable. Tu hésites. Tu veux voir le tracé avant de partir. Mais parfois, mieux vaut ne pas voir l’ensemble du chemin. Il vaut mieux avancer, un pas après l’autre, laisser l’expérience te guider, te modeler. Parce que c’est en marchant que le chemin t’enseigne ce que tu dois savoir. Et c’est aussi en marchant que tu laisses au chemin la liberté de t’amener plus loin encore que ce que tu pouvais imaginer — à condition de rester ouverte à ce qui peut surgir, au détour d’un virage, d’un souffle, d’une révélation.
Tu n’as pas besoin d’être prêt·e. Tu as juste besoin de commencer.
Cora l’a fait. Et ce qu’elle a découvert là-haut, ce n’est pas juste un paysage. C’est une partie d’elle-même.
Alors, qu’est-ce que tu attends ?
